Kankan : à la rencontre d’un sculpteur pas comme les autres…
La sculpture est une activité artisanale qui était autrefois très lucrative Kankan. Mais de nos jours, elle est en perte de vitesse. C’est un constat qui est partagé à la base par les acteurs du secteur eux mêmes.
La rareté des clients et le manque criard d’ espaces pour l’exposition des œuvres sont entre autres les facteurs qui constituent un frein au rayonnement de cette activité socioprofessionnelle.
Rencontré à la devanture de son atelier situé au quartier Korialen, plongé à fond dans son activité, Ahmed DIANÉ âgé de la cinquantaine, s’occupe à donner toutes sortes de formes aux morceaux de bois.
Ici plusieurs reproductions antiques sont réalisées par une équipe qui travaille sous ses ordres.
Plus qu’une activité professionnelle, façonner le bois ou encore même des dents de phacochères pour en donner des formes humaines, animales ou végétales est devenu pour lui une passion à laquelle il a voué presque toute sa vie.
Mais à cause des nombreuses difficultés qui minent ce secteur de nos jours, Ahmed DIANÉ , tout comme l’ensemble des artisans sculpteurs de Kankan, tirent le diable par la queue.
« J’ai commencé la sculpture depuis 1993, depuis lors, j’exerce ce métier. Je sculpte tous les masques que vous pouvez vous imaginer. C’est grâce à ce métier que je vis. J’ai 5 magasins remplis par des antiquaires, que j’ai produits avec l’aide de certains amis. Mais pour dire vrai, il y a très peu d’achats et de touristes qui viennent s’intéresser. Sinon au temps des anciens régimes surtout celui de Sékou TOURÉ, l’artisanat était considéré, mais actuellement c’est tout le contraire. Rien ne bouge vraiment dans notre secteur. Parfois ils viennent nous recenser ici mais au finish c’est pour se remplir les poches eux-mêmes », déplore-t-il.
Plus loin, Ahmed DIANÉ, ce maître sculpteur nous a fait l’honneur de visiter sa boutique d’exposition.
On y trouve presque tout. La statue de bois des résistants comme Dinah Salifou, M’balia Camara ainsi que de nombreux masques antiques comme le fameux N’dimba. Mais faute de valorisation, il interpelle :
« Quand on demande à l’Etat de nous aider, ce n’est pas forcément de nous octroyer des financements. Mais les autorités doivent nous faciliter l’obtention des lieux pour l’exposition de nos productions. Le plus souvent à Conakry quand il y a des cartes d’invitation pour des cérémonies d’exposition, elles sont vendues aux simples commerçants au détriment de nous les artisans. S’il y a 30 visas pour aller exposer à l’étranger, nous les artisans, on nous en octroie que 5 au plus meilleur des cas. On se demande bien où est-ce qu’on va dans ce pays ? En plus, les démarches pour avoir le passeport ou le visa, pour nous ce n’est pas du tout une mince affaire. Au centre artisanal que l’ancien président Alpha CONDÉ avait construit pour nous, rien ne marche actuellement. Moi je me suis débrouillé pour construire un hangar à l’intérieur dudit centre et aujourd’hui on me demande de payer 500.000fg pour ça, alors que c’est moi-même qui ai financé toute la construction. Mais c’est impossible ! Ceci dit en passant, rien ne nous empêchera de faire nos productions car c’est notre métier et nous aimons l’exercer « , précise-t-il.
Pour éviter que la sculpture à Kankan ne finisse par disparaître un jour, maître Ahmed DIANÉ, invite les autorités du ministère de tutelle en ces termes :
» Les productions artistiques sont prisées par les blancs. Nos parents africains sont moins intéressés. Donc si le gouvernement nous aide à développer déjà le secteur du tourisme surtout à l’intérieur du pays, les choses pourraient bouger. Car dans d’autres pays de la sous-région comme le Burkina, le Mali ou encore la Côte d’Ivoire, les artisans là-bas s’en sortent mieux que nous. On peut faire jusqu’à 5 mois sans voir la présence d’un seul touriste au centre artisanal de Kankan. Pourtant historiquement parlant, c’ est ici à Kankan que la sculpture a été créée en Guinée « , conclut-il.
Souleymane Tata Bangoura